Crédit photo : En action lors d’une animation dictée aux Champs Libres, en février 2023.
Exception de nos portraits : Malik Diallo n’est pas conservateur territorial mais d’état ! L’interviewer nous a cependant semblé une évidence. Directeur des bibliothèques de Rennes, président de l’Association des Directrices et directeurs de Bibliothèques municipales et de Groupements intercommunaux des Villes de France (ADBGV), c’est une incarnation reconnue du milieu des bibliothèques territoriales, qui nous permet aussi d’aborder cette spécificité, courante en BMVR ou face à des fonds classés, de la collaboration entre collectivités et État.
Pouvez-vous présenter votre parcours et votre poste actuel ?
Je suis actuellement directeur des bibliothèques de Rennes, qui regroupent la bibliothèque des Champs Libres, 11 bibliothèques municipales et 150 points lecture dans les écoles et les différents quartiers de la ville.
Après avoir quitté mon lycée du Pays de Retz avec un bac économique et social, j’ai préparé à Paris le concours de l’école nationale des Chartes, que j’ai intégrée en 2008.
Mon travail de recherche pour le diplôme d’archiviste paléographe a porté sur l’histoire de la Révolution française.
J’ai passé le concours de conservateur de bibliothèques, parce que je voulais depuis longtemps travailler en bibliothèque, car elles sont politiquement et géographiquement situées au cœur de la cité. Ensuite formation de 18 mois à l’Enssib. Pendant toute cette période de formation, j’ai eu la chance de découvrir de nombreuses bibliothèques en stage à Reims, Nantes, Paris, Madrid par exemple.
J’ai occupé de 2013 à 2020 le poste de chef de projet numérique dans les Bibliothèques de Nancy.
Pour vous, c’est quoi un conservateur des bibliothèques aujourd’hui ?
C’est une personne cadre stratège et artisane des bibliothèques, une personne engagée, qui aime travailler avec des personnes pour d’autres personnes, et dont le rôle principal relève de la stratégie et consiste à concevoir et organiser la transformation de concepts et intentions politiques en services culturels de proximité réels et effectifs pour les habitantes et habitants. C’est une mission avant tout scientifique, culturelle, c’est-à-dire d’invention, dont l’ingrédient principal est le travail collectif. Piloter une bibliothèque, objet quotidien, hybride, qui s’adapte en permanence, c’est de fait une mission très créative, en ingénierie culturelle, administrative, humaine.
Pourquoi garder ce corps spécifiques ? car les politiques qu’il porte et incarne doivent être aussi portée avec ambition au niveau stratégique de nos collectivités, universités, et qu’elles se trouvent à la croisée de nombreuses politiques publiques avec lesquelles elles doivent s’articuler. Il y a un projet politique républicain à faire vivre derrière chaque bibliothèque, c’est un travail spécifique que d’en définir les contours, les priorités, et d’en organiser la mise en oeuvre.
Pouvez-vous partager un projet particulièrement marquant dans votre carrière ?
Le projet de bibliothèque numérique du Sillon Lorrain a été de facto marquant. C’était mon premier poste et ma mission principale pendant 7 ans.
D’ailleurs ce qui est rigolo, c’est que sous cet intitulé uniforme, se cachent une multitudes de projets et d’aventures collectives : rénovations d’espaces, construction de bibliothèques numériques (Limédia), création de services, et ce dans 4 villes et territoires différents.
Aujourd’hui je dirais que ce qui me marque c’est le projet d’équipement mutualisé. Celui des Champs Libres, établissement réunissant bibliothèque, musée, centre de sciences et que nous animons collégialement comme une une place publique.Mais cette dynamique est autant présente dans nos autres équipements culturels rennais où les bibliothèque partagent le projet culturel avec une cité de la danse, une SMAC, des MJC, des maisons de quartier, des centres sociaux.
On pourrait qualifier cela de projet méthodologique transversal polymorphe aux 12 bibliothèques rennaises. J’y vois aujourd’hui une vrai levier d’ambition culturelle et sociale pour nos politiques publiques. C’est une ingénierie collective de chaque instant tout à fait passionnante, c’est pourquoi j’en parle ici comme d’un marqueur fort.
Quelles sont les spécificités d’un conservateur d’état mis à disposition dans la territoriale, et quelle posture avoir envers les équipes et le territoire ?
Ah ça c’est la question piège où si je réponds trop vite je peux me fâcher avec mes deux employeurs en même temps. 🙂
Ça répond déjà un peu à la question, la spécificité c’est cette double casquette, qui est pour moi plutôt un atout : nous sommes bien placés pour essayer de produire sur le terrain avec nos collègues la meilleure application cohérente et complémentaire des politiques de nos collectivités locales et politiques nationales sur la lecture publique.
Au quotidien, nous nous mettons d’abord au service d’un projet de territoire, dont nous vivons aussi en tant qu’habitant et fonctionnaire les évolutions et orientations ou commandes politiques, les transformations démographiques et que nous traduisons, en équipe, en services concrets aux habitants.
Là où pour moi le dispositif est particulièrement intéressant à incarner dans ses deux dimensions on va dire état/territoriale c’est sur le patrimoine. Où la conservation des collections d’état prend tout son sens et ne devient à proprement parler réelle, qu’articulée avec une valorisation par et sur le territoire, le local, ce qui fait sens pour les citoyens, en proximité. Les deux vont de pair et la mise à disposition est un excellent outil pour cette exigence.
Vous avez un engagement associatif, quelle plus-value cela apporte-t-il à un employé territorial ? Quelle spécificité de l’ADBGV au sein des autres structures de l’écosystème des bibliothèques ?L’engagement associatif apporte du lien avec d’autres collègues, du partage de bonnes (et mauvaises : les plus instructives !) pratiques, des espaces de réflexions, de prospective, de prise de recul par rapport à notre quotidien. D’entraide. C’est donc précieux, et stimulant. C’est l’occasion d’élargir ses compétences, de rencontrer des partenaires que nous n’avons pas toujours l’occasion de côtoyer directement sur nos postes. Avec l’ADBGV nous proposons aux cadres des bibliothèques municipales et intercommunales des espace de travail et d’échanges sur des problématiques qui leur sont propres ou qui permettent des formes de codéveloppement sur des sujets stratégiques, managériaux, de positionnement au sein des collectivités. Et nous essayons d’apporter nos expertises et temps, comme les autres associations, pour contribuer aux chantiers collectifs qui animent la profession : lien avec des associations d’élu·es (France urbaine notamment), le travail sur l’évolution du métier, sur l’évaluation et défense des politiques de lecture publique, la construction d’argumentaires politiques, les prises de paroles dans les médias.
Quelques exemples de sujets et projets du moment : le déploiement de l’enseigne des bibliothèques , la poursuite des réflexions sur l’articulation lecture publique et métropoles; la promotion des bibliothèques en vue des prochaines élections municipales
Propos recueillis par Maël Rannou (promotion Art Spiegelman), avril 2024.